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ART QUI BOUGE
11 décembre 2011

Oujda. Abderrahmane Zenati. ADIEUX OUJDA MA BIEN-AIMEE





EXTRAIT 


"....D’un geste machinal, Bernard Pivot releva ses lunettes sur ses cheveux longs et lisses puis ferma le livre. Après un «bonsoir » et un sourire discret à la caméra de France2, il dit d’une voix posée, presque élégante :
- Mesdames et messieurs, l’osmose est constante entre le corps et l’esprit, les lieux et les choses. Tout être humain a le privilège de pouvoir les mêler comme bon lui semble pour en tapisser son présent.

L'animateur de l'émission culte Bouillon de Culture fixa du regard un de ses invités et continua:

Mesdames et messieurs, cet homme remarquable qui, il y a trente ans, poings fermés avait choisi de lutter de toute ses forces contre le mal et l’injustice, dans sa ville, Oujda là-bas, au Maroc... Cet homme avait choisit de fuir son pays de naissance en choisissant la France qui l'a adopté... Cet homme est devenu chez nous, en France, ici, à Paris, l’un des plus célèbres chirurgiens esthétique! Cet homme, mesdames et messieurs est à la chirurgie esthétique ce qu'est Madona à la chanson : une STAR. Cet homme est reconnu comme l'un des pères de l'esthétique, il est à la tête d'une des plus célèbres cliniques esthétiques du monde... Une clinique... située chez nous, en France, à Paris. Cet homme d'origine marocaine il est aussi l'auteur de plus de 900 publications scientifiques ! Son savoir, sa technique, ses resultats ont donc tout pour nous séduire. il a inventé beaucoup de produits spécifiques pour rajeunir nos femmes et les rendre encore plus belles... Ses crème régénérante, ses crème magiques si recherchées, ses gels, ses sérum liftant, ses sérum éclaircissant sont reconnus dans le monde entier pour leurs actions anti-âge.
Le présentateur désigna son invité de la main d'un geste théâtrale et demanda à l'assistance de se leve.

Applaudissements dans le studio.

Ce soir-là, Bernard Pivot paraissait tout rayonnant, sur la chaîne francophone, TV5. Il avait l’art de cristalliser les choses de la vie par les mots, et de les magnifier de manière palpitante. Il continua sur sa lancée :

- Cet homme remarquable qui voulait sortir des ténèbres de l’ignorance chez lui et rentrer dans la clarté du savoir et de la science chez nous, c’est le docteur Mokhtar Aït Lahcen, que j’ai le grand plaisir de recevoir ce soir à Bouillon de Culture...

Applaudissements de plus en plus fort dans le studio.

- Cet homme remarquable il est le chirurgien esthétique en chef de l’hôpital Val-de-Grâce !

Bernard Pivot tourna son visage vers une femme belle et élégante.
et déclara en ajustant ses lunettes sur son nez:

J’ai aussi le plaisir de recevoir sa charmante et gracieuse épouse, Nathalie Dahon. Nathalie est la fille unique de notre illustre professeur, Abraham Dahon, médecin chef et propriétaire de la clinique les Iris à Paris. Monsieur Abraham Dahon, qui hélas! n'est pas avec nous ce soir, est né lui aussi au Maroc, dans la charmante petite ville, de Debdou.

L’œil vif, malgré un âge assez avancé, Bernard Pivot faisait preuve d’un dynamisme ardent et d’un esprit jeune et habile. Le visage serein, vêtu d’une veste sport de couleur vert émeraude, d’un pantalon de toile gris, d’une chemise claire et d’une cravate sombre, il trônait sur le plateau face à ses invités, avec la suprématie qui le caractérise. Il se tourna vers son invité et souffla un : " Bonsoir docteur Aït Lahcen", plein d’admiration.

- Bonsoir, monsieur Bernard Pivot, répondit le chirurgien d’une voix rauque avec un charmant petit accent berbère. Il paraissait un peu troublé par les projecteurs et les caméras.

Sur le petit écran, les téléspectateurs virent un visage mince au teint cuivré sous une tignasse de cheveux noirs, argentés aux tempes. Des yeux sombres et profonds derrière des lunettes à fine monture d’or. De grosses lèvres et un menton rond. Le docteur Aït Lahcen était habillé d’un costume de flanelle couleur ivoire de chine, bien coupé. Il portait une cravate rouge sur une chemise blanche. Ses chaussures vernies étaient luisantes.

- Monsieur Aït Lahcen, dit Bernard Pivot, en regardant son invité, vous, le médecin dont l’illustre professeur Christian Bourin, prix Nobel pour les travaux sur le plasma, apprécie le savoir, vous, le médecin dont les chirurgiens les plus distingués de France et d’Europe, admirent la technique opératoire, vous venez de recevoir cette année la médaille d’Hippocrate pour l’ensemble de vos travaux sur les causes du cancer de la peau.

Si ce bon préambule n’avait fait apparament aucun effet particulier chez les téléspectateurs, il engendra une grosse satisfaction de soi, dans le cœur du médecin.

Comme tous les Oujdis, généralement très sensibles aux compliments et à la flatterie, même si ils sont parfois complètement faux, le docteur était certain que Bernard Pivot et ses invités étaient subjugués par sa personne. Il cru sentir leur admiration et eut une sensation d’intense vanité qui flatta son orgueil.

Bernard Pivot regarda la caméra.

- Je rappelle aux téléspectateurs que cette médaille decernéà notre ami Aït Lahcen est l’équivalent du prix Nobel, sous une autre forme. Elle récompense tous ceux et toutes celles qui ont trouvé un moyen contribuant au bien-être de l’humanité, dans le domaine de la médecine. Je rappelle aussi que le docteur Aït Lahcen est le premier lauréat français qui fut récompensé par cette importante médaille. C’est donc un très grand honneur pour la France tout entière ! J’ajoute que le docteur Aït Lahcen est le représentant officiel du peuple français l’O.M.S.

A la régie, Julien, l’un des techniciens, dit d’une voix nasillarde à travers le micro du casque à Roger, l’un des caméramans :

- Eh ! Oh ! Roger. Tu te rends compte ? Avec tous ces Bougnouls de merde qui deviennent scientifiques, artistes et intellectuels, bientôt en France, plus personne ne balayera nos rues et ne videra nos poubelles !

- Avec sa tronche de singe, rétorqua Roger, ce Bougnoul pourrait être n’importe quoi, sauf médecin. Et dire qu’il représente les français à L.O.M. C’est pour ça d’ailleurs que Marseille a perdu le championnat.

- Mais non, idiot ! Ce n’est pas à l’équipe de foot de Marseille que ce macaque représente la France, c’est à l’O.M.S. dit Julien.

- Et qu’est-ce que c’est encore cet O.M, machin ? Demanda le cameraman intrigué.

- Je ne sais rien, moi ! Cela doit-être un resto du cœur pour Bougnouls ou quelque chose de ce genre.

- En tout cas, si jamais je tombe malade, reprit Roger, crois-moi, mon pote, ce n’est certainement pas chez ce melon que qui se dit médecin, que je vais me faire soigner, ça c’est sûr !

- Moi, si tu veux me croire, avec sa gueule de poissonnier portugais en chômage, je ne lui confierai même pas le petit chat de ma voisine, fit Julien, en s’esclaffant.

Bernard Pivot tendit la main vers la table basse près de lui, saisit un livre, l’ouvrit sur une page repérée par un bout de papier rose, baissa les lunettes sur le bout de son nez, et se mit à lire d’une voix bien timbrée d’un homme intellectuel, tout à fait satisfait et à l’aise dans son métier d’animateur :

« Personne n’est jamais «étranger » dans son pays et dans son époque, mais toujours complice, parce qu’à un certain moment de l’histoire, tous les hommes affrontent dans la même culture, les mêmes menaces : les changements d’une société, ses conflits, ses adaptations vitales, c’est-à-dire ce qui se passe dans l’inconscient. Tout cela est collectif… »

Il releva ses lunettes sur son front et fit face à son invité.

- Docteur Aït Lahcen, vous venez d’écrire un magnifique ouvrage qui porte le titre de «Rêve d’une Vie meilleure», publié à Oujda aux éditions, l’Art qui Bouge... A travers votre livre, vous parlez à la place de tous les Marocains d’hier et d’aujourd’hui : femmes, hommes, vieillards, jeunes, qui ont besoin de dire tout haut ce qu’ils n’ont le droit de dire nulle part : leurs angoisses, leurs rêves, leurs fantasmes, et ce que nous appelons, nous autres chrétiens, «leur âme ». Vous racontez, dans ce livre, votre propre histoire, mais aussi celle de beaucoup d’autres Oujdis que vous avez connu, durant votre enfance. De celui qui est devenu Premier ministre à celui qui est le Président actuel de l’Etat Algérien. Vous parlez des événements, des contestations, mais également du devenir dans ce Maroc, pays cher au cœur de tous les Français. Dans votre livre, nous comprenons à travers vos réflexions que vous étiez, un être unique, et pourtant semblable à tous les Oujdis de votre génération.

L’ancien marocain allait dire quelque chose, mais Bernard Pivot ne lui laissa pas le temps. Il réajusta ses lunettes sur le bout de son nez, pris une fiche parmi tant d’autres sur la table, et aussitôt et dit en désignant un autre parmi ses invités :

- J’ai aussi avec moi, ce soir, monsieur Albert Isaac, journaliste itinérant et historien, spécialisé dans l’Histoire du Maghreb. Monsieur Albert Isaak qui vient d’écrire un livre magnifique sous le titre « Terre tendre et Hommes durs», publié toujours à Oujda aux éditions l’Art qui Bouge. C’est la deuxième fois que Bouillon de Culture à le plaisir de reçevoir cet illustre historien.

Bernard Pivot posa sa fiche sur la table :

- Bonsoir, monsieur Albert Isaac !

- Bonsoir, monsieur Bernard Pivot, dit l’historien d’un ton décontracté.

- Vous qui êtes journaliste itinérant, historien spécialisé dans l’Histoire du Maghreb, vous qui avez voyagé dans ce magnifique coin de l’Afrique, dites-moi si vous savez- quelque chose sur cette Oujda, cette colombe blanche, comme dit notre ami, le docteur Aït Lahcen. Je crois finalement que beaucoup de français ne connaissent pas grand chose sur cette région Maroc.

- C’est une ville, sans grand charme, de style plus ou moins européen, elle comprend des quartiers d’aspects variés qui vont des plus prestigieux aux plus misérables, à base de torchis.

Le docteur Aït Lahcen, cachant mal son chauvinisme, lança un regard mauvais à l’historien. Celui-ci, continua :

- Elle est située dans le Nord-Est du pays, à dix ou douze kilomètres seulement de la frontière algéro-marocaine. Créée par la tribu des Zénètes, Berbères farouches, à la fin du Xe siècle, elle resta pendant longtemps une modeste bourgade. Jusqu’à la colonisation française, par le maréchal Lyautey. Elle connut alors un développement très rapide. De quelques milliers d’habitants, en 1912, elle passa à 80 000 en 1952 et à 336 000 en 1992.

- Elle occupe une position privilégiée et stratégique, intervint le médecin. Elle est le nœud ferroviaire et routier, contrôlant le trafic vers les Hauts Plateaux et le Sud ainsi que le transit vers l’Algérie.

- Effectivement, fit l’historien. C’est la huitième ville du pays. C’est aussi la capitale du Maroc oriental. Elle est située au cœur d’une plaine fertile où l’on cultive le blé, les olives, le raisin, l’alfa, exportée pour la papeterie, notamment en France.

- Plus maintenant, dit le médecin. Ceux qui ramassaient l’alfa ont presque tous émigrés clandestinement en France et surtout en Espagne.

-On y élève des chèvres et des moutons. 

- Pas en ville, précisa le médecin. Dans les environs, pas en ville.

- Puis il y a beaucoup de chômage. Plus que soixante pour cent de la population de cette ville ont moins de trente ans. Les activités industrielles, relativement modestes, sont liées aux mines voisines (charbon à Jerada, plomb et zinc à Touissite).

- Ces mines, mon ami, se sont plus opérationnelles. Elles ont fait faillite et fermer leur porte l’une après l’autre, précisa le médecin.

- Hé, ho ! Roger ! Tu ne trouves pas que ce Zigoto est pédé, avec son gros cul, avec toutes ses fringues et ses gestes typiquement féminins, tus ne trouves pas ?

- Moi, je trouve plutôt qu’il a un gros dictionnaire à la place de la caboche, fit le cameraman. Ce salopard de juif semble connaître le bled des Bougnouls, comme sa propre poche.

Bernard Pivot ouvrit une autre fois le livre du médecin à un autre paragraphe..."
Photo 047-1
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