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ART QUI BOUGE
20 septembre 2018

Intervention d’Abderrahmane ZENATI dans la commune d'Evere à Bruxelles le Samedi 15 Septembre 2018

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Mesdames et Messieurs bonsoir.

Permettez-moi de vous dire combien je me sens si heureux d’être parmi vous.

Permettez-moi aussi de profiter de cette occasion pour  remercier vivement toutes les personnes de la commune d’Evere qui m’ont donné cette belle occasion d’être ici,  avec vous.

Je remercie particulièrement notre amie à tous madame Fatiha Saidi, femme de cœur, dévouée aux autres par sa bonté, son engagement solidaire pour les bonnes causes et son encouragement pour les arts et les artistes.

A propos de solidarité, c’est connu, le Peuple belge est un peuple solidaire. Un peuple qui renforce tout le temps la solidarité entre les peuplesdu monde.Un peuple toujours enclin à la générosité et au partage. Un peuple qui tend la main à autrui, qui aide les plus démunis, qui transmet le message de paix et de solidarité entre les peuples.

Alors remplissons nos cœurs d’amour pour la solidarité. Transmettons l’esprit de solidarité à nos enfants et soyons tous solidaires pour que la paix règne dans ce vaste monde.

   Mesdames et messieurs. Comme vous tous, j’aime la vie.

J’aime ses bons comme ses mauvais côtés. Toutes les épreuves majeures de l’existence, quelle que soit leur nature, nous renvoient à une situation de détresse originelle. Personnellement j'estime que les coups durs nous servent de levier et les épreuves nous font avancer et changent souvent le destin d’une personne.  

Permettez-moi, mesdames et messieurs de vous parler ce soir de la personne que je connais le mieux dans ce monde,  c'est-à-dire moi.

Mais, d’emblée, j’implore votre indulgence, car je n’ai ni la vocation d’un conférencier, ni l’habitude de parler en public dans une langue qui n’est pas la mienne.

Faire tout un discours est une entreprise périlleuse pour l’autodidacte que je suis.

Un autodidacte qui a eu depuis sa tendre enfance le regard curieux et la soif de tout savoir par l’observation. De tout connaître, de tout comprendre, la soif de tout apprendre.  

Il est vrai qu’avec le temps et l’expérience, j’ai puisé mon modeste savoir et mon éducation à des sources bien différentes.

D’abord, la rue : véritable école de la vie, la plus importante de toutes, quand on sait en tirer profit.

La vie m’a presque tout appris. C’est d’elle que je prends le courage pour me présenter devant vous en ce moment.

Oh, je ne suis pas érudit ! Je n’ai que des connaissances superficielles sur une foule de choses.

Jusqu’à l’âge de douze ans, je ne savais lire ni A, ni B. Il m’a fallu beaucoup de volonté, de curiosité, de patience et d’amour, des années de lutte, de travail acharné, d’observations et de recherches pour apprendre à lire et à composer la plus simple des phrases.

De là à conduire ce soir tout une conférence dans cette chère commune  d’Evere, quelle aventure !

Ne possédant ni le savoir faire de mes compatriotes maghrébins comme le Marocain Tahar Benjelloun, ou de l’Algérien Yasmina Khadra. Les mots m’échappent quand j’essaie de décrire les événements qui furent pour moi si extraordinaires, si vibrants.

Toutes les choses merveilleuses qui me sont arrivées peuvent perdre leur saveur, en m’efforçant de les faire entrer dans les mots, matière que je ne sais pas manipuler. Ils me paraissent semblables à des feuilles mortes, desséchées, où ne reste plus ni parfum, ni douceur…

C’est parce que je ne suis pas si familier avec les mots de cette belle langue française que j’aime que, quand je peins, c’est autre chose…  Oui, j’aime cette belle langue française qualifiée de « butins de guerre »par le grand écrivain algérien Kateb Yacine au lendemain de l'indépendance de l'Algérie. Cette langue  que j’avais apprise durant mon enfance dans la rue en cirant les godasses des militaires américains et français. Dans ma vie quotidienne à Oujda et Saidia , je  parle la langue dialectale marocaine.

Mesdames et Messieurs. On ne peut enterrer les souvenirs qui nous tiennent à cœur. On a plutôt envie de les partager par nostalgie avec  ceux qui nous aiment et que nous aimons.

Moi qui avais côtoyé durant mon enfance toutes les misères, subi toutes les privations, frôlé toutes les laideurs, aujourd’hui, alors que j’ai 75 ans, tout mon passé reste gravé dans ma mémoire telle une cicatrice indélébile. Oui, les souvenirs de mon enfance tourmentée et douloureuse sont si extraordinaires, si invraisemblables que j’ai peine à croire moi-même en leur réalité.

Il me semble parfois que les étapes de ma vie étaient écrites par un romancier talentueux et débordant d’imagination…

Et pourtant mon histoire de vie, qui peut sembler relever de l’imaginaire, n’est que trop vraie…

Souvent, en revoyant mentalement le film de mon existence d’autrefois, un film curieux, mal ajusté, dont on aurait mélangé les séquences qui se sont succédées, quel étonnement je ressens !

 Parfois il me semble comme s’il s’agit d’une sorte d’un rêve lointain qui est resté fixé dans mon esprit et que je n’arrive pas à oublier....comme s’il s’agissait de l’histoire vécue par une autre personne. Il y a des jours où j’ai l’impression que tout celà n’est qu’un film en noir et blanc que j’ai vu il y a très, très longtemps dans une salle sombre et exiguë !

Mais des images claires, nettes, teintées de couleurs sublimes font des apparitions furtives dans l’écran nostalgique de mon cinéma intérieur et là toute mon enfance apparait dans sa triste réalité.

Depuis leur apparition sur Terre, les êtres vivants ont mis en place deux grandes stratégies de survie : le combat et la fuite. Au cours de l’évolution, chez les humains, ces réponses physiques ont été remplacées par des parades plus intellectuelles : que faire pour venir à bout des problèmes ? Les analyser, les nier ? Accuser les autres, le destin, Dieu ? Demander de l’aide ? S’enfermer en soi-même ?

 J’ai vu le jour  à Oujda en 1943  dans un milieu pauvre. C’était les années de guerre et les  habitants  de cette ville vivaient dans la famine. Affreux moments où sur les routes de la ville,  veuves et orphelins marchaient à tâtons, en plein jour, égarés, les yeux révulsés, et le désespoir sur le front. Certains s'écroulaient de faim, au détour d'un chemin long et sombre et périssaient dans l'indifférence au fond des buissons aux côtés des restes de charognes. Leurs corps étaient dévorés par les bêtes sauvages.

 A la tombée de la nuit, commençait le concert d’aboiements de chiens répercutés par l’écho qui ne prenait fin qu’aux aurores.  

Au lointain, répondaient, comme un défi, les hurlements à la mort des loups, les glapissements des chacals et le ricanement des hyènes… 

 Orphelin de père, dès l’aube de mon enfance, je me suis trouvé fatalement abandonné dans la rue. J’avais moins de sept ans. À cet âge, je ne pouvais encore comprendre que ma mère n’avait que vingt six ans et qu’elle était veuve, avec sept enfants à charge ! Mes frères et moi étions tous en bas âge.

Ma pauvre mère n’avait aucun moyen pour subvenir à nos besoins, sauf son honnêteté et son ardeur au travail de fileuse de laine et à l’occasion bonne à tout faire chez les Juifs et la nombreuse colonie algérienne.

Je ne pouvais pas encore savoir que malgré son dur labeur, elle n’arrivait ni à nous faire vivre ni à nous donner de l’instruction, comme elle l’aurait souhaité !

Livré à moi-même dans la rue, pour survivre, je mangeais n’importe quoi trouvé dans les poubelles, parmi les chats et les chiens errants.

Mon enfance déchirée n’a été bercée que par mes rêves et les contes que narrait un vieux conteur populaire.

 A force de vivre dans la saleté et de manger n’importe quoi, à douze ans, la tuberculose me cloua dans un lit d'hôpital de ma ville natale.

Et c'est là, face aux discussions profondes avec les malades, que j’ai pris conscience de la réalité de la vie. De ma vie.

Moi, qui, jusque-là, ne me souciais que de survivre seulement l’heure présente, la pensée de savoir de quoi mon lendemain serait fait, avait soudain germé dans mes pensées et aussitôt j’avais  eu un besoin insatiable de tout apprendre à commencer par lire et écrire.

 

Mesdames et Messieurs, la solidarité humaine joue un grand rôle dans une vie, la chance aussi.

Depuis mon enfance j’ai eu la chance de rencontrer sur le chemin de mon existence beaucoup de personnes qui, par leur sagesse et leurs précieux conseils, m’avaient aidé à sortir des ténèbres de l’ignorance et encouragé à vaincre l’analphabétisme et la marginalisation. Oui c’est cela la solidarité.

Aujourd’hui dans ce monde qui n’a jamais été aussi dangereux, violent et empli de haine et où toute notion desolidarité se perd, j’éprouve beaucoup de gratitude et de reconnaissance pour ces personnes qui, par solidarité, avaient changées ma vie et influencé ma sensibilité et mon itinéraire artistique.

Je n’ai jamais oublié mon enfance difficile et c’est pourquoi, chaque fois que je le peux, j’aide de jeunes talents à progresser dans le monde artistique. Je pense être légitime aussi, eu égard à mon expérience de vie, pour échanger avec des jeunes en difficulté pour tenter de leur redonner l’espoir et les inciter à apprendre et à travailler pour accéder à une vie meilleure.

Mesdames et messieurs. Je voudrais terminer en vous contant la belle Légende amérindienne du Colibri que m'avait raconté mon amie Maguy Barbon :

“Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux étaient terrifiés et observaient, impuissants, le désastre . Seul le petit colibri s’activait, allant chercher avec son bec quelques gouttes d’eau pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu.

Et le colibri lui répondit : Je le sais mais je fais ma part.

Le message du colibri, que je vous adresse ce jour, est que chacun peut, à son niveau, agir pour aider l’Autre que cet autre soit son frère, son voisin, ou un étranger. En cette période où certains dirigeants sont tentés par le repli sur soi, il appartient à chaque citoyen de faire preuve de solidarité en apportant sa petite goutte d’eau à la construction d’un monde meilleur et plus fraternel.

C’est ce que je vous souhaite à tous, mais de façon individuelle : Soyez le petit colibri solidaire qui, envers et contre tout, continue à œuvrer pour le bien de tous.

Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre attention.

 

Intervention d’Abderrahmane ZENATI le Samedi 15 Septembre 2018

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