Abderrahmane ZENATI: C’est les histoires des Milles et Une Nuits qui, dès ma tendre enfance, avaient façonné mon imaginaire.
J’avais entre 10 et 11 ans et comme je vivais dans la rue et que je n’allais pas en classe, je passais mon temps à écouter le vieux cheikh Tayeb qui, à l’ombre de la muraille de bab sidi Abdelouahab, contait dans sa halka les aventures de Sindbad, d’Aladin, et d'Ali Baba...
Ce sont des histoires là qui, par excellence, m’avaient fait voyager dans un monde féerique et fantastique. Des histoires que j’avais apprises par cœur, dès mon jeune âge.
Et c’est vers mes 22 ans qu'avec mon premier salaire d'infirmier, j’ai acheté la traduction en français des Mille et Une Nuits de Antoine Galland, publié en 1704.
Les Milles et Une Nuits, avait écrit Zaoui, est le livre qui a réussi, avec brio, à véhiculer une image positive et humaniste de l’Arabo-musulman depuis ses premières traductions. C’est un livre qui a fasciné, et continue sa fascination sans prendre de rides.
Les Mille et Une Nuits sont des histoires qui parlent de l’art, de l’architecture, de la gastronomie, de la poésie, de l’amour, de la politique…
Que de belles narrations qui évoquent le vin, les ruses, l’intelligence, les femmes, l’amitié, la trahison le voyage et les aventures…
C’est ce livre qui a le plus marqué les écrivains, les romanciers et les poètes dans toutes les langues. La Fontaine, Voltaire, Nietzche, Tolstoï, Balzac, George Borges, Garcia Marquez… jusqu’à Mathias Enard (prix Goncourt 2015). Toutes ces belles plumes et d’autres, d’une façon ou autre, ont célébré Les Mille et Une Nuits.
C’est le livre qui marqué les cinéastes de tous les horizons. De Hollywood jusqu’au cinéma indien et africain. Il a charmé les peintres de Delacroix jusqu’à Picasso.
L’orientaliste et traducteur du Coran, Jacques Berque, a classé Les Mille et Une Nuits comme l’un des livres universels qui ont façonné l’imaginaire humain. Certes, il existe quelques autres titres dans la culture arabo-musulmane qui ont contribué à la sculpture de l’image positive et humaniste de l’Arabo-musulman entre autres El-Moqaddima d’Ibn Khaldoun, les Mouallaqat (poésie d’avant l’islam).
Cette belle image de l’Arabo-musulman a pris sa place dans l’imaginaire universel et principalement dans l’imaginaire européen grâce au travail de quelques grands noms de spécialistes de la littérature arabo-musulmane entre autres André Miquel (né en 1929), louis Massignon (1883-1964), Jacques Berque (1910-1995), Djamel Eddine Bencheikh (1930-2005), René Khawam (1917-2004)…
Les Mille et Une Nuits demeure la lecture universelle perpétuelle, de génération en génération, dans toutes les langues, dans toutes les géographies.
Mais, depuis trois décennies ou presque, un autre livre parvenant du monde arabo-musulman a pris, et continue à prendre, de plus en plus d’ampleur, actionnant une autre curiosité chez le lectorat universel. Et ce livre n’est autre que le Coran.
Bien qu’il soit traduit depuis des siècles et ce, dans toutes les langues vivantes ou presque (la première traduction en français “l’Alcoran de Mahomet” a été réalisée en 1647), le Coran est resté pendant toute cette période le sujet des débats restreints et religieux. Lu, examiné et étudié dans des cercles de recherche dans les domaines particuliers : études comparatives des religions, études linguistiques, études des civilisations, études historiques.
Des siècles durant, le Coran n’a pas suscité de débat public. Il est resté loin de toute polémique publique. Tout simplement parce qu’Il est resté le livre des élites. Pour les élites. Entre les élites. Loin de toute politisation ou idéologisation.
Aujourd’hui, le Coran provoque, et de plus en plus, une curiosité inédite chez les lecteurs, dans toutes les langues, tous les âges. Cette curiosité est animée chez ces lectorats par le fait des guerres déclarées ou non déclarées faites au nom de l’islam. Cette curiosité est attisée par le contexte politico-religieux exceptionnel.
Aujourd’hui, le Coran est le livre le plus vendu dans le monde. Le plus demandé. Édité en poche. Réédité. Retraduit. Mais le Coran d’aujourd’hui a changé de lecteur, d’un lecteur élitiste averti à un autre public, général et formaté.
Si Les Mille et Une Nuits, en matière de réception, et pendant des siècles, a présenté le monde arabo-musulman comme espace de plaisir, de bonheur, de rêve dans l’imaginaire européen, américain et asiatique, et continue à l’être, le Coran, de son côté, par le contexte politique, par l’environnement violent, par les attentats islamiques aveugles à travers le monde, présente le monde arabo-musulman dans l’imaginaire européen et américain, comme espace géorgaphico-humain de peur, de conflits, de sang, de haine et de guerre sainte. Si guerre sainte existe ?